Que recouvre la notion de chef de file ?
On ne sait pas vraiment donner un contenu à la notion de chef de file. On sait que c’est un « coordonnateur », qui va conduire les collectivités concernées par une action commune à se coordonner sur la programmation et, plus souvent, sur l’exécution des compétences concernées.
Le chef de file n’intervient que pour l’exécution de l’action. Par exemple, il peut se charger de l’évaluation préalable, ou prendre en charge certaines procédures telles que les consultations pour avis ou même la mise en œuvre matérielle de la procédure de passation d’un contrat. Il va aussi suivre l’exécution des actions décidées.
Le chef de file dispose-t-il de pouvoirs de contrainte ou de décision ?
Non. Il ne dispose d’aucun pouvoir de contrainte à l’égard des autres collectivités. Le chef de file a été inventé pour essayer de rationaliser l’action des collectivités à chaque fois que des compétences se chevauchent, parce que l’on n’a pas réussi à appliquer la théorie des blocs de compétences.
Mais il a aussi été conçu comme devant rester conforme au principe d’interdiction de tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre. Il organise les modalités de l’action commune, mais il n’a absolument aucun pouvoir pour les déterminer, les décider. Ce serait glisser vers une délégation de compétences.
Le chef de file n’assure donc que des missions en quelque sorte techniques et logistiques ?
Exactement. Et c’est bien là que résident les limites du chef de file : ce n’est rien d’autre qu’un nouveau mode de coordination et de concertation. Chacun y voit une solution miracle en lui prêtant plus de contenu, mais en fait, elle ne va pas au-delà des modalités préparatoires, d’exécution matérielle et de suivi. Pour donner au chef de file un sens nouveau, il aurait fallu atténuer l’interdiction de tutelle à son seul profit.
La notion de chef de file trouve-t-elle une assise constitutionnelle ?
Oui, aux côtés de l’interdiction de tutelle au sein de l’article 72 de la Constitution. Mais un amendement en a réduit la portée en y inscrivant que le chef de file ne fait qu’organiser les modalités de l’action commune afin d’épargner totalement le principe de non-tutelle. Dans les autres Etats européens, il n’y a pas de chef de file. Lorsqu’une collectivité a un pouvoir de contrainte sur une autre, c’est qu’elle est supra-locale.
Comment donner plus de pouvoir au chef de file sans porter atteinte au principe de non tutelle ?
Plus de pouvoir, ce serait plus de pouvoir de décision. Mais, pour cela, il faudrait modifier la Constitution pour permettre au chef de file de « déterminer » certaines modalités de l’action commune, plutôt que de les « organiser». Cela ne se fera pas. Néanmoins, développer le chef de filât était nécessaire et demeure une excellente idée. Simplement, on reste sur une méthode de promotion de la concertation et de l’auto organisation au niveau local, avec une efficacité limitée par l’absence de puissance juridique du chef de file.
D’où l’appel à l’ « intelligence territoriale », pour mettre en œuvre les nouveaux projets de lois de décentralisation…
Encore une fois, le chef de file est une bonne méthode en ce sens. De très nombreux champs d’action (action sociale, développement économique, aménagement durable, transport, environnement…) s’y prêtent bien. Mais il faudrait le muscler. Certains évoquent la passation d’une convention de mandat au profit du chef de file, mais l’interdiction de décider que le juge constitutionnel a opposé au chef de file en 2008 est un problème.
Est-il normal d’insérer dans la loi une notion aussi imprécise que celle du chef de file ?
La loi peut sans problème prévoir le recours au chef de file. Elle a raison de tenter de rationaliser l’action des collectivités comme elle le peut. Ce n’est pas le problème de la loi si, en 2003, lors de la révision de la Constitution, on n’a pas osé rechercher un équilibre entre interdiction de tutelle d’une collectivité sur une autre et instauration du chef de filât pour les actions communes. Pourtant, le constituant avait déjà une parfaite conscience du problème que posait la combinaison des deux notions.
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Acte III de la décentralisation : la réforme pas à pas
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