Inscrites à l’agenda social, les discussions entre le gouvernement et les organisations syndicales sur les parcours, carrières et rémunérations des fonctionnaires s’orientent vers un vaste chantier : la remise à plat des grilles indiciaires a été annoncée pour 2013-2015.
Il y a urgence car l’attribution régulière de points d’indice pour rattraper le niveau du Smic a fait disparaître les premiers échelons des grilles, qui se trouvent compressées. Les carrières mettent ensuite beaucoup de temps à évoluer.
« Un agent C qui débute reste dix ans au niveau du Smic. Ce dernier augmente avec l’inflation, pas le point d’indice. Alors le gouvernement remonte les indices de bas de grille, car le traitement d’un fonctionnaire ne peut être inférieur au Smic.
L’écrasement s’amplifie », décrit Jean-Claude Lenay, secrétaire national de l’Interco-CFDT.
L’évolution de carrière par l’avancement d’échelon qui traduit l’ancienneté est gommée. Les qualifications le sont aussi. Un agent de catégorie B, de niveau bac à bac + 2, débute à 5 points d’indice (23 euros brut, soit 1,13 Smic environ) au-dessus d’un agent de catégorie C, théoriquement de niveau CAP ou BEP. Il y a vingt ans, les « B » commençaient à 1,5 Smic.
En cause, la faible évolution du point d’indice dans la décennie précédente et son gel depuis 2011 qui, selon les syndicats, ont fait perdre 12 à 13 % de pouvoir d’achat depuis 2001 et provoqué ce tassement. L’Etat a pourtant injecté des sommes colossales : 1,5 milliard d’euros a été attribué à un million de fonctionnaires pour chaque point lors de chacune des évolutions du Smic.
Si le gouvernement laisse peu d’espoir pour 2013 et 2014 aux délégations des trois fonctions publiques qui demandent une revalorisation du point d’indice, il a entendu le message concernant les agents de catégorie C.
Quotas d’accès – Fin janvier 2013, la ministre de la Fonction publique, Marylise Lebranchu, a annoncé qu’elle faisait des « C » sa priorité, avant de donner un coup de pouce en supprimant les quotas d’accès au 8e échelon des filières administrative et médicosociale. Tous les agents à l’échelle 6 pourront l’atteindre en fin de carrière.
« Une petite avancée ! » remarque Catherine Guérin, secrétaire générale de l’Unsa-territoriaux. « S’il y a un point sur lequel nous sommes tous d’accord avec le gouvernement, c’est bien les grilles de la catégorie C. Les agents qui commencent à l’échelle 3, à l’indice majoré 309, gagnent un point par échelon jusqu’au 6e. En filière administrative, il faut dix à quatorze ans pour gravir six échelons, gagner cinq points et 23 euros, soit 1 453 euros brut », explique Johann Laurency, secrétaire fédéral de FO – services publics et de santé, qui revendique 44 points d’indice pour tous, soit 200 euros net qu’il traduit en « un caddy et demi par mois ». Selon lui, un fonctionnaire ne devrait pas gagner moins de 120 % du Smic.
« Gagner un point d’indice, soit 4,63 euros brut de plus après deux ans quand on débute, n’est pas très motivant », estime, de son côté, Eric Dorn, secrétaire fédéral de la CGT – fonction publique.
Il distingue les territoriaux, sans régime indemnitaire obligatoire, des agents de l’Etat, qui en ont tous un, défini par les ministères.
« Le gel des salaires devient catastrophique. On ne peut plus continuer ainsi. On nie les qualifications et l’expérience professionnelle. La carrière, étalée sur trente-quatre ans en catégorie C, devient difficile à dérouler », souligne également Daniel Clérembaux, secrétaire général adjoint de la FSU-territoriaux (Snuclias-FSU), qui demande 300 euros de plus par mois et par agent.
Dans le contexte budgétaire, les revendications globales sur le point d’indice ont peu de chances d’aboutir, mais une révision des grilles de la catégorie C pourrait intervenir au 1er janvier 2014 sans déséquilibrer les finances publiques, si les ajustements à venir sur le Smic étaient anticipés en une fois, pour redonner du souffle aux carrières. Cette piste, évoquée par le ministère de la Fonction publique, ne laisse pas insensibles les organisations syndicales.
Difficultés pour les « B » aussi – La priorité donnée aux « C » ne résoudra pas les difficultés des « B », à peine mieux lotis dans les premiers grades, malgré la récente réforme de ceux-ci. Talonnés en début de carrière par les « C », ils gagnent deux points au passage du 1er au 2e échelon, soit moins de 10 euros brut.
« Quand on voit la difficulté du concours de rédacteur dont la rémunération démarre juste au-dessus des minima, peut-on encore accepter de travailler dans une fonction publique de moins en moins attractive ? » s’interroge Daniel Clérembaux qui, comme Eric Dorn pour la CGT, pose la question de la qualité du service public et des motivations des agents. Il y a donc bien urgence à ouvrir ce chantier complexe.
La Gipa peu compensatrice
La garantie individuelle de pouvoir d’achat (Gipa) compense l’inflation pour les agents qui ont atteint le haut de leur grille de traitement indiciaire, et dont la rémunération n’évolue plus. Sans ce mécanisme, celle-ci diminuerait en euros constants. Créée à titre transitoire, la Gipa perdure. « On ne peut se satisfaire de ce décrochage permanent par rapport à l‘inflation. C’est comme si l’on construisait un immeuble sur des sables mouvants », estime Jean-Claude Lenay (Interco-CFDT). Eric Dorn (CGT) relève un autre inconvénient : la Gipa est supprimée pour ceux qui progressent d’un ou deux échelons car leur traitement est ajusté par rapport à l’inflation. Le gain en pouvoir d’achat de leur avancement est, par conséquent, annulé.
« Quinze ans d’ancienneté, sans déroulé de carrière »
Laurent Branchu, 40 ans, adjoint administratif (catégorie C), 1 380 € net par mois
Entré en 1996 dans la fonction publique d’Etat comme agent TOS après un bac professionnel, j’ai obtenu une mutation dans la FPT en 2006 avant les transferts. Agent d’accueil, reclassé adjoint administratif de 2e classe, j’ai été nommé en 1re classe il y a deux ans après l’examen professionnel. Avec quinze ans d’ancienneté, je suis à l’indice majoré 316 (échelle 5). Or ceux qui débutent sont à l’indice 309, pour rattraper le Smic. Les collègues qui ont bénéficié des accords Jacob de 2006 ont vu leur ancienneté du privé reprise. Pas ceux, comme moi, entrés avant. Mon déroulé de carrière statutaire, en dépit de l’avancement minimum pratiqué au Mans, ne me permet pas d’évoluer. Mon traitement brut s’élève à 1 463 euros. J’ai la chance de travailler pour une grande ville qui me verse 220 euros d’indemnité, soit un revenu total de 1 380 euros net. En passant à l’indice 325, je gagnerai 9 points (30 euros net). A ce rythme, à 52 ans, je plafonnerai à l’indice 369, soit 1 450 euros net. Dans une petite commune, ce serait pire !
« Le traitement n’est pas à la hauteur »
Sylvette Andraud, 56 ans, assistant socioéducatif principal (catégorie B), 2 423 € net par mois
J’ai débuté en 1979, à 21 ans, dans la fonction publique hospitalière. Conseillère en économie sociale et familiale, j’ai décidé d’intégrer la FPT à 45 ans. J’aide des familles à gérer leur budget. Depuis treize ans, mon traitement est bloqué à l’indice 534 : 2 472 euros brut auxquels s’ajoutent 92 euros brut de nouvelle bonification indiciaire et 357 euros de régime indemnitaire. Pour compenser l’inflation, j’ai perçu 1 252 euros, en 2012, de garantie individuelle de pouvoir d’achat qui, comme les primes, ne compte pas pour la retraite principale. Pour évoluer, je dois passer en catégorie A. Je n’ai pas eu de promotion et j’ai échoué deux fois au concours. Je me suis occupée de mes trois enfants. Mon mari étant très pris, j’ai fait face à tout. Or il faut se consacrer totalement à la remise à niveau. Cette année, je suis une préparation. A 56 ans, ce n’est pas facile. Certains jours, je me sens démotivée. La rémunération n’est pas à la hauteur de ce qui nous est demandé. Et encore, là où je travaille, nous sommes plutôt bien lotis.
Cet article fait partie du Dossier
Rémunération des fonctionnaires : ce que disent les chiffres
Sommaire du dossier
- Rémunération des fonctionnaires : ce que disent les chiffres
- Evolution des rémunérations : croisons nos analyses
- Le point d’indice est-il un élément déterminant de la rémunération ?
- Le pouvoir d’achat : +10 % ou – 10 % ?
- Le tassement des grilles indiciaires
- « Le déclassement, un sentiment surtout lié aux nouveaux modes de vie »
- Peut-on encore rendre la FPT attractive ? – Refonte des grilles : priorité aux agents de catégorie C
- Peut-on encore rendre la FPT attractive ? – La délicate réforme des régimes indemnitaires
- Peut-on encore rendre la FPT attractive ? – « Un débat qui n’est pas nouveau »