François Hollande a qualifié, mercredi 24 avril, de « tournant pour nos institutions », les trois projets de loi présentés en Conseil des ministres. Deux portent sur la transparence et le contrôle du patrimoine des élus (un projet de loi organique, et un projet de loi ordinaire), l’autre sur la « lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ».
A ce stade, même s’ils apportent incontestablement des avancées, ils restent cependant en retrait par rapport à l’ensemble des mesures proposées par les rapports Sauvé, de 2011, et Jospin, en 2012.
12 000 personnes concernées – La réforme présentée en Conseil des ministres crée une obligation de déclaration du patrimoine et d’intérêts qui devrait s’appliquer à 12.000 personnes, un millier d’entre elles ayant l’obligation de les publier dans un cadre qui sera défini par le Conseil d’Etat.
Outre les membres du gouvernement, les parlementaires nationaux et européens, les membres des cabinets ministériels, et les membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes…, sont concernés, s’agissant des collectivités territoriales :
- Les présidents de conseil régional, et des assemblées des territoires d’Outre-mer ;
- Les présidents de conseil général ;
- Les maires d’une commune de plus de 30 000 habitants ;
- Les présidents élus d’un groupement de communes doté d’une fiscalité propre dont la population excède 30 000 habitants ;
- Les conseillers régionaux ;
- Les conseillers généraux ;
- Les adjoints aux maires des communes de plus de 100 000 habitants, lorsqu’ils sont titulaires respectivement d’une délégation de signature du président du conseil régional, du président du conseil exécutif, du président du conseil général ou du maire, dans les conditions fixées par la loi. Les délégations de signature devront être notifiées sans délai par l’exécutif de chaque collectivité territoriale au président de la Haute autorité de la transparence de la vie publique.
Sont également concernés les présidents et directeurs généraux
- des offices publics de l’habitat gérant un parc comprenant plus de 2 000 logements ;
- des sociétés et autres personnes morales, quel que soit leur statut juridique (SEM, SPL, etc.), dont le chiffre d’affaires annuel, au titre du dernier exercice clos avant la date de nomination des intéressés, dépasse 750 000 euros, dans lesquelles les collectivités territoriales ou leurs groupements détiennent, directement ou indirectement, plus de la moitié du capital social ou qui sont mentionnées au 1° de l’article L. 1525-1 du code général des collectivités territoriales.
Le non-respect de cette obligation pourra entraîner une peine de prison allant jusqu’à trois ou cinq ans, selon les cas.
Les déclarations d’intérêts seront publiées par la Haute autorité de la transparence de la vie publique, mais dans des conditions qui seront fixées par décret.
L’annonce de cette mesure, largement approuvée par l’opinion selon plusieurs sondages, avait déclenché un tollé chez les élus, particulièrement les parlementaires.
L’UMP y a vu une manoeuvre de « diversion » pour cacher les responsabilités de l’exécutif dans le scandale Cahuzac, le président PS de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone a critiqué une opération relevant selon lui du « voyeurisme » et de « la démocratie paparazzi ».
Création d’une Haute autorité de la transparence de la vie publique – Cette Haute autorité, annoncée par François Hollande le 10 avril, « absorbe » la Commission pour la transparence financière de la vie politique.
En revanche, il n’est pas fait mention, à ce stade, d’une éventuelle fusion avec la commission de déontologie de la fonction publique, qui était recommandée par les rapports Sauvé et Jospin.
Cette Haute autorité, « totalement indépendante », sera chargée de contrôler les déclarations de patrimoine et d’intérêts avec de vastes pouvoirs d’investigation (possibilité d’auto-saisine, réquisition des services fiscaux…). Elle rendra des avis sur la compatibilité de toute activité lucrative, salariée ou non, dans une entreprise ou un organisme privé ou toute activité libérale, avec les fonctions gouvernementales ou avec les fonctions exécutives locales au cours des trois années précédant le début de cette activité.
Elle pourra se saisir elle-même d’une question, ou être saisie par le Premier ministre, et les présidents de l’Assemblée et du Sénat. Les associations de lutte contre la corruption reconnues pourront également la saisir.
Elle sera composée d’un président nommé par décret, de 6 membres (2 conseillers d’Etat, 2 conseillers à la Cour de cassation, et 2 conseillers-maître à la Cour des comptes) et de 6 suppléants issus des mêmes institutions. Il seront élus pour 6 ans, un mandat non renouvelable.
Définition du conflit d’intérêt, fin du pantouflage – Le projet de loi ordinaire donne pour la première fois une définition, en droit français, de la notion du conflit d’intérêt.
Constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à compromettre l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction.
Cette définition est cependant moins complète que celle que proposait le rapport Sauvé, qui prévoyait de définir ce que recouvrait l’intérêt privé, et surtout, l’étendait à l’entourage de la personne concourant à l’exercice d’une mission de service public :
Au sens et pour l’application du précédent alinéa, l’intérêt privé d’une personne concourant à l’exercice d’une mission de service public s’entend d’un avantage pour elle-même, sa famille, ses proches ou des personnes ou organisations avec lesquelles elle entretient ou a entretenu des relations d’affaires ou professionnelles significatives, ou avec lesquelles elle est directement liée par des participations ou des obligations financières ou civiles.
Le texte du gouvernement prévoit les conséquences de l’identification d’un conflit d’intérêt pour la personne concernée :
- déport pour les membres du gouvernement, dont les conditions seront fixées par décret,
- les personnes titulaires de fonctions exécutives locales devront se faire suppléer par leur délégataire auquel elles s’abstiennent d’adresser des instructions (1),
- les personnes placées sous l’autorité d’un supérieur hiérarchique devront le saisir, à charge pour ce dernier d’apprécier s’il y a lieu de confier le dossier ou la décision à une autre personne.
Dans le cadre de la lutte contre les conflits d’intérêts, les textes présentés rendent incompatible « le mandat de parlementaire avec les fonctions de conseil ou toute responsabilité au sein d’entreprises, dont une part substantielle de l’activité commerciale est entretenue avec l’administration ». Les avocats d’affaires sont visés.
Dans le même esprit, sera désormais interdit le « pantouflage », c’est-à-dire la pratique consistant pour un responsable public – membre du gouvernement et titulaires de fonctions exécutives locales – à se faire embaucher par une entreprise avec laquelle il a été en relation dans l’exercice de sa charge publique.
Les fonctionnaires devenus parlementaires (national ou européen) seront désormais placés en disponibilité pendant la durée de leur mandat.
Protection des lanceurs d’alerte – L’article 17 du projet de loi ordinaire prévoit qu’aucune personne « ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage (…), ni être sanctionnée ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire (…) pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, soit à son employeur, soit aux autorités judiciaires ou administratives de faits relatifs à une situation de conflit d’intérêts ».
Le texte comble ainsi un vide juridique, et instaure un statut protecteur de lanceur d’alerte qui n’existait pas auparavant.
Répression de la fraude fiscale – Deuxième volet, la lutte contre la fraude, après la mise en examen de M. Cahuzac pour « blanchiment de fraude fiscale ». Les peines encourues passent « à 7 ans d’emprisonnement et 2 millions d’euros d’amende ». Une peine d’inéligibilité à vie pourra être prononcée en cas d’infraction portant atteinte à la moralité publique.
En attendant la mise sur pied annoncée par François Hollande d’un parquet financier à compétence nationale, renvoyée à un autre texte qui serait présenté le 7 mai au Conseil des ministres, ce projet de loi sur la délinquance financière crée « une police fiscale » avec « des pouvoirs d’enquête étendus ».
Le fisc pourra désormais déclencher des enquêtes sur la base d’informations « d’origine illicite » – tels des fichiers volés contenant les noms de contribuables français ayant ouvert des comptes en Suisse à la banque HSBC, comme dans l’affaire Falciani, instruite depuis mardi 23 avril par la justice française.
Des amendements PS en préparation
Le porte-parole des députés PS, Thierry Mandon, a expliqué mardi 23 avril que des amendements viendront définir « les modalités » du projet de loi de moralisation de la vie publique présenté au conseil des ministres mercredi. « Ce texte peut montrer comment on peut concilier une forte ambition gouvernementale et un travail d’amélioration parlementaire qui ne dénature pas le texte mais qui permet de rendre acceptable le texte par une majorité », a-t-il dit.
De leur côté, les présidents socialistes des commissions des Lois du Sénat et de l’Assemblée nationale, Jean-Pierre Sueur et Jean-Jacques Urvoas, ont déclaré mercredi dans un communiqué commun souhaiter, concernant le patrimoine des élus, « concilier transparence, contrôle et respect de la vie privée ».
Une très grosse majorité des députés PS sont contre la publicité de la déclaration de patrimoine, annoncée par François Hollande, en tête desquels le président de l’Assemblée, Claude Bartolone (PS).
Il y aura des « amendements » qui « consolideront l’effort de transparence et de déclaration », « encadreront la publicité », « renforceront s’il y a besoin les sanctions en cas de mensonge d’un parlementaires ou d’un responsable politique », a-t-il affirmé.
Interrogé sur le fait de savoir si les parlementaires n’allaient pas paraître en retrait par rapport à l’exécutif, M. Mandon a répondu « non ». « Non seulement ils ne seront pas en retrait mais on va faire faire un bond considérable aux législations existantes aujourd’hui en matière de moralisation publique », a-t-il dit. « Il faut être très exigeant sur la déclaration, on doit tout déclarer, y compris pour ceux qui sont proches de nous, nos épouses, en revanche il faut être précautionneux sur la publicité », a-t-il dit.
« On doit être hyper exigeant sur les moyens de contrôle et implacables sur les sanctions », a-t-il ajouté.
Cet article fait partie du Dossier
Déontologie des fonctionnaires : droits et obligations
Sommaire du dossier
- La HATVP et le respect des règles déontologiques en 10 questions
- Déontologie des fonctionnaires : des obligations en évolution – Introduction
- Déontologie : les fonctionnaires territoriaux vers de nouvelles contraintes
- Déontologie des fonctionnaires : une meilleure protection des fonctionnaires lanceurs d’alerte
- Déontologie : les valeurs du service public réaffirmées
- Douze référents « laïcité » aident les agents à se positionner
- «La Loi Déontologie est un bond en avant même si certains dispositifs auraient pu être plus simples » – Guillaume Valette-Valla
- Conflits d’intérêts : Quels garde-fous pour les fonctionnaires ?
- Déontologie et transparence : « Pour les directeurs généraux, l’absence de statut pose problème dans le cas de l’alerte éthique »
- Moralisation de la vie publique : des avancées incomplètes
- Moralisation de la vie publique : un éternel recommencement
- La loi sur la transparence de la vie publique jugée par Daniel Lebègue, président de Transparency International France
- Devoir de réserve et internet : Surfer sans déraper, réseauter sans dérailler
- Vie publique, sphère privée sur le web 2.0 ? Témoignages d’utilisateurs
- Devoir de réserve et internet : Agents formés, échanges encadrés : dérapages évités !
- Devoir de réserve, devoir de prudence ? Avis d’experts
- Devoir de réserve et internet : Et du côté des entreprises du secteur privé ?
- Les obligations des agents territoriaux en 10 questions
- Les règles de cumul d’activités des agents publics en 10 questions
- L’obligation de réserve des agents territoriaux en 10 questions
- Principes de déontologie financière
- Les DGS face à des pratiques irrégulières
- Se former à la déontologie : interview de Mary Claudine, conseillère de formation au CNFPT
- Interview d’Olivier Fouquet, président de la commission de déontologie
- La commission de déontologie des agents publics en 10 questions
- Des outils pour une Commission européenne exemplaire
- Documents et ressources
Thèmes abordés
Notes
Note 01 sous réserve des exceptions prévues par le deuxième alinéa de l’article 432-12 du code pénal Retour au texte