« Quand publierez-vous les contrats ? ». La question est revenue à plusieurs reprises parmi les députés lors de l’audition de Bruno Racine par la commission culturelle des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, le 10 avril 2013.
Les députés veulent connaître le détail des contrats controversés que la BnF, par le biais de sa filiaile BnF-Partenariats, a conclus avec les sociétés Proquest et Believe Digital associée à Memnon Archiving Services, et dont la signature a été annoncée le 15 janvier par Bruno Racine.
Le premier contrat concerne la numérisation de 70 000 documents patrimoniaux datant de la période 1470-1700.
Le second, la numérisation de 180 000 disques vinyles édités entre 1900 et 1962.
Restrictions d’accès temporaires – Depuis leur révélation, ces accords sont au cœur d’une polémique, car ils prévoient des clauses d’exclusivité sur la diffusion d’une partie des fonds sur une période de 10 ans. Des restrictions dénoncées depuis janvier par les associations de bibliothécaires, documentalistes et archivistes réunies au sein de l’IABD et les militants de la libre dissémination des biens culturels numérisés (SavoirsCom1, Creative Commons France, Open Knowledge Foundation France etc.).
Pour SavoirCom1, par exemple, ces clauses s’apparentent à des « enclosures », autrement dit des formes de réappropriation.
L’IABD attend aussi de la BnF qu’elle organise le « libre accès » aux œuvres du domaine public numérisé, « tout comme les transferts de technologies qui permettront aux bibliothèques publiques d’y être étroitement associées. » L’inter-association pointe des financements insuffisants qui conduisent « à utiliser les collections publiques comme gisement pour des commercialisations exclusives. »
A l’inverse, lors de son audition au Palais-Bourbon, Bruno Racine a estimé que la démarche de la BnF favorise une plus large diffusion des collections concernées par ces accords.
« Aujourd’hui, les ouvrages antérieurs à 1700 conservés en réserve sont communiqués au compte-goutte, à un lecteur à la fois. Ils vont devenir immédiatement accessibles aux lecteurs sur place pendant la période d’exclusivité, avant de l’être ensuite à toute personne ayant un ordinateur. »
Licences nationales- Pour ce qui est des fonds numérisés par Proquest (fonds patrimoniaux de 1470 à 1700), des licences nationales négociées par la BnF permettront aux bibliothèques des établissements d’enseignement supérieur et de recherche et aux grands équipements de lecture publique des collectivités territoriales de donner à leurs publics respectifs accès à la base de données du prestataire. L’intérêt d’une licence nationale étant de mutualiser les capacités de négociation des établissements publics face aux éditeurs.
« L’accès à ces ressources doit être gratuit pour tout le monde, et pas seulement pour les bibliothèques », a estimé Silvère Mercier, co-fondateur du collectif SavoirsCom1, lors de son audition par les députés.
Bruno Racine a confirmé aux députés que l’achat de ces licences sera financé par les crédits des investissements d’avenir. Autrement dit, des crédits publics serviront à acheter le droit d’accès à des documents dont la numérisation a été en partie financée par les mêmes crédits (emprunt d’Etat de 2010).
Un montage dont l’IABD pointe « l’absurdité » puisqu’il s’agit de rembourser un emprunt de l’Etat par les contributions des établissements d’enseignement supérieur et des collectivités territoriales. ».
« Ce que nous avons fait jusqu’à présent en matière de numérisation n’est pas suffisant », a rétorqué Bruno Racine. Car, depuis 2008, la BnF est engagée dans une politique de numérisation exhaustive, et non plus sélective. Pour compléter les programmes de numérisation financés par subventions, « la BnF doit-elle bénéficier des investissements d’avenir ? Une étude a été faite sur la question et la réponse est oui», a plaidé le président de l’établissement public.
La CADA saisie par la BnF – « Déficit de transparence et opacité ». C’est en ces termes que Lionel Maurel et Silvère Mercier, co-fondateurs du collectif SavoirCom1, ont caractérisé les accords de partenariat public-privé récemment signés par la BnF dans le cadre des investissements d’avenir, lors de leur audition par les députés. Et d’ajouter : « S’il suffit de créer une filiale privée pour se soustraire aux obligations de transparence, c’est inquiétant. ».
« Nous avons communiqué sur le contenu des accords. Par ailleurs, j’ai saisi la CADA sur leur publication », a fait valoir le président de l’établissement public. En outre, notre projet a été soumis, par le ministère de la culture et de la communication au commissariat général à l’investissement, via le comité d’engagement des investisseurs avisés. C’est le ministère qui était présent lors des débats, pas la BnF. »
Dès octobre 2012, alors que la BnF négociait avec ses futurs partenaires privés, le député (PS) d’Ille-et-Vilaine, Marcel Rogemont, avait écrit à la ministre de la culture et de la communication, pour l’alerter sur les risques de ces partenariats public-privé en matière de numérisation du patrimoine et demander que les accords commerciaux soient rendus publics. Ce que les associations et collectifs opposés à la stratégie de la BnF n’ont de cesse de réclamer depuis janvier 2013. En vain.
« Cet accord est évidemment à la disposition des assemblées parlementaires qui en feraient la demande », a répondu Aurélie Filippetti, le 29 janvier, à Marcel Rogemont.
Pour l’heure, la BnF a mis en ligne, le 20 mars 2013, une présentation des accords.
N’y figurent pas les clauses couvertes par le secret industriel », a admis Bruno Racine devant les députés. Le président de la BnF attend l’avis de la CADA pour « organiser la communication sur ces contrats » aux députés avec Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles. « Communication, ou publication ? », se sont interrogés quelques députés à l’issue de l’audition… La nuance n’est pas neutre…
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