Comme l’a souligné le Professeur Bertrand Mathieu, président du comité de suivi, l’intention du législateur organique lors des débats, en 2008, préalables à la mise en vigueur de la QPC était de conforter le rôle du Conseil constitutionnel dans son rôle exclusif de juge de la conformité de la loi à la Constitution.
Or, après trois années d’exercice de la QPC, le Conseil constitutionnel n’a plus l’exclusivité de la constitutionnalité de la loi, qui a été investie par la Cour de la cassation et le Conseil d’Etat. Le succès juridique est donc réel, mais pas au profit des juges constitutionnels de la rue Montpensier !
Un filtrage non sans incidence – Si les juges ordinaires ont été amenés à contrôler la constitutionnalité des lois, ce n’est pas le fait d’une volonté de puissance, mais parce que le mécanisme de filtrage induit par la QPC pousse les juges ordinaires à apprécier eux-mêmes la conformité des lois à la Constitution.
En effet, ce système de filtre tel que prévu à l’article 61-1 de la Constitution amène le Conseil d’Etat et la Cour de cassation à apprécier si la contestation de la disposition législative visée présente un caractère sérieux. Or, cette appréciation conduit par nature à procéder à un pré-jugement de sa conformité à la Constitution.
Cette dérive à même conduit la Cour de cassation à un surprenant comportement. Dans l’arrêt du 12 avril 2012 (req. n°12-90004), la chambre criminelle ne reconnaît pas le caractère sérieux à une question relative à l’interprétation qu’elle fait de l’article 132-5, alinéa 5, du code pénal, tout en avouant à demi-mots que cette dernière viole le principe constitutionnel d’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs et le principe d’égalité devant la loi pénale.
En effet, dans un premier temps, la Cour admet que son interprétation conduit à ce qu’une personne ayant commis des faits pénalement répréhensibles pendant une période durant laquelle elle a été mineure, puis majeure, soit plus sévèrement punie qu’une personne ayant commis exactement les mêmes faits, mais ayant été exclusivement majeure durant cette période.
Mais, dans un second temps, elle promet que, désormais, « lorsque deux condamnations à l’emprisonnement assorties ou non d’un sursis partiel ont été prononcées et que la confusion totale a été accordée, seule doit être exécutée la partie d’emprisonnement sans sursis la plus longue ». Par conséquent, elle juge qu’une telle promesse de constitutionnalité fait perdre à la question soulevée son caractère sérieux et qu’il n’y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
On s’aperçoit donc que par l’examen du caractère sérieux de la QPC soulevé devant lui, le juge ordinaire effectue un contrôle de la constitutionnalité de la loi et émet même des réserves d’interprétation.
S’il était ancien Président de la République, on pourrait le confondre sans difficultés avec un membre du Conseil constitutionnel !
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Questions prioritaires de constitutionnalité : la mise en oeuvre d'un nouveau droit
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Sommaire du dossier
- L’essentiel – Questions prioritaires de constitutionnalité : la mise en oeuvre d’un nouveau droit
- QPC : entretien avec Didier Maus, président émérite de l’association française de droit constitutionnel
- La Constitution contre la loi – Analyse
- Santé, famille et pensions militaires : analyse des premières « QPC » envoyées au Conseil constitutionnel
- CCI : précisions sur la composition et le régime électoral
- La QPC, un succès paradoxal
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