Lire une facture d’eau serait-il réservé aux experts ? C’est la conclusion du dossier sur le prix de l’eau, publié par « 60 millions de consommateurs » dans son édition d’avril. Thomas Laurenceau, rédacteur en chef du mensuel édité par l’Institut national de la consommation (INC), juge les factures « d’une complexité inouïe, reflétant le mille-feuilles qu’est l’organisation du service de l’eau et de l’assainissement ». Et invite donc à une réforme de l’arrêté de 1996 (1) régissant ces documents.
Du simple au triple – Le magazine s’appuie sur les données issues de l’enquête collaborative, menée depuis un an avec la fondation France Libertés. Sur les 4 000 factures exploitables reçues dans le cadre de cette « opération transparence » sur le prix de l’eau, un échantillon de 220 a été analysé en détail. Pour une facture type, portant sur une consommation annuelle de 120 m3, le prix du mètre cube varie dans un rapport de un à trois, relève Stéphanie Truquin, économiste à l’INC ; l’écart est même de un à cinq dans les zones où l’assainissement n’est pas collectif mais autonome.
Les mille litres reviennent d’autant plus cher que la consommation du foyer est modérée : 3,08 euros/m3 en moyenne pour plus de 120 m3 par an contre 5,4 euros/m3 pour 30 m3/an. Une dégressivité qui va à l’encontre de l’objectif d’économie.
Le prix d’un service – Des résidents secondaires se demandent pourquoi leur facture n’est pas nulle quand ils n’ont pas tiré une seule goutte. « Les abonnés ne comprennent pas qu’ils paient, non un produit, mais un service qui permet d’ouvrir à tout moment le robinet, observe Thomas Laurenceau. Il y a besoin de pédagogie dans les communes touristiques. »
Quelques aberrations ressortent de l’enquête, comme le cas de cet usager qui se voit facturé un service d’assainissement collectif … auquel son hameau n’est pas raccordé. Ou de cet abonné, dont le compteur enterré est cassé, à qui l’on réclame 16 000 euros.
L’habitat collectif mal informé – Enfin, « la transparence s’arrête au pied des immeubles », note Thomas Laurenceau : les 40 % de Français résidant en habitat collectif ne voient jamais leur facture, mais un simple chiffre inscrit dans les charges. Dans la capitale, « personne ne reçoit de facture, les syndics dont l’interface », confirme-t-on à la régie Eau de Paris. Le mensuel et la fondation France Libertés préconisent l’équipement des logements en compteurs individuels, pour permettre une tarification progressive (croissant avec les volumes consommés). Les partenaires souhaitent aussi que les services d’eau et d’assainissement soient tenus de transmettre les données relatives à leurs performance (financière, technique, environnementale) à l’Observatoire piloté par l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques. Une proposition à laquelle souscrit la Fédération des entreprises des professionnels de l’eau (FP2E).
Quand Gilbert Miterrand, maire de Libourne et président de France Libertés, propose que le taux de rémunération du délégataire figure sur la facture, la FP2E estime que cette information trouve plus opportunément sa place dans le rapport annuel, présenté aux élus et à la commission consultative des usagers des services publics.
« Conforme » ne veut pas dire « compréhensible »
Dans l’ensemble, les notes sont fort correctes : au regard du respect des dispositions de l’arrêté de juillet 1996 sur les factures, Suez Environnement obtient 8,5 sur 10, Saur 8,4 et Veolia Eau 8,3. Les régies sont à 7,9/10. Chez ces acteurs 100 % publics, « l’éventail va du ‘grand n’importe quoi’ au document très clair et riche d’information », constate Stéphanie Turquin, économiste à l’Institut national de la consommation (INC).
Globalement, seules 9 % des factures sont totalement conformes. « Ce qui ne signifie pas forcément qu’elles sont compréhensibles », nuance l’experte. Ainsi, la réglementation devrait à tout le moins exiger que soit clairement indiquée la période de consommation considérée. « En particulier, dans la foulée d’une augmentation tarifaire et quand la consommation fait l’objet d’une simple estimation, non d’un relevé de compteur », précise-t-elle.
L’INC souhaite aussi que soit détaillés les prix appliqués selon les tranches de volumes consommées, quand la tarification est progressive. Et que la facture identifie les interlocuteurs en cas de réclamation ou de difficulté de paiement.
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