Dans son interview télévisée du 29 janvier 2012, le président de la République a glorifié la détermination de l’Etat, qui est parvenu à réduire ses effectifs de 160 000 postes depuis le début de son mandat en 2007. Et a tancé les collectivités territoriales qui, sur la même période, auraient recruté plus de 500 000 agents, hors transferts.
Des transferts bien visibles – Selon les données établies par la DGAFP et l’Insee pour les années 1998 à 2008 (1) l’augmentation globale des effectifs des collectivités territoriales et établissements publics administratifs locaux s’élève à 453 103 personnes.
La période inclut les principales phases de décentralisation qui ont vu le transfert des TOS (Techniciens, Ouvriers de Service) des collèges et lycées grossir les effectifs des départements et régions par exemple.
De 2006 à 2009, la Commission consultative d’évaluation des charges (CCEC) évalue à 94 000 le nombre de TOS de la seule Education nationale transférés. Selon l’Association des régions de France (ARF), 49 729 agents auraient été transférés aux régions. Auxquels s’ajoutent 2 553 TOS venus des établissements publics et formations agricoles relevant du ministère de l’Agriculture.
« A cela, il faut additionner 3 600 postes transférés vacants et qu’il a fallu pourvoir, et 600 postes de gestionnaires de ces nouveaux personnels, qui eux, n’avaient pas été transférés, et qui ont dû être recrutés », complète Michel Yahiel, directeur général de l’ARF.
Ces évolutions dans les effectifs imputables aux transferts de personnels apparaissent nettement dans les courbes de progression.
Au 1er janvier 2010, une troisième vague de transfert a concerné 30 000 agents. Mais aucun chiffre, en revanche, sur la deuxième vague de transfert intervenue entre les deux dates.
Pas de chiffre fiable sur les recrutements hors transferts – Face à ce flou statistique, les collectivités et l’Etat ont donc beau jeu de se rejeter la balle. Dans son bulletin d’octobre 2011, la DGCL (Direction générale des collectivités locales) souligne cependant : « Hors transferts de personnel, les effectifs sur emplois permanents se sont stabilisés dans les collectivités locales en 2009 ».
La DGCL précise : « En 2009, le solde entre arrivées et départs sur emplois permanents s’établit à 0,6 %, soit 10 000 agents. Cette variation est à mettre en regard du volume des emplois en provenance de l’État transférés en 2009, soit 16 000 en équivalent temps plein, dont plus de 11 000 provenant de l’Éducation nationale ».
Pour atteindre 500 000 embauches entre 2007 et 2011 hors transferts, ainsi que l’affirme Nicolas Sarkozy, il faudrait donc que les collectivités se soient mises à recruter très massivement. Or, les courbes d’évolution des effectifs montrent une tendance à la baisse pour l’ensemble des strates de collectivités.
Surtout, au cours de notre enquête, il nous a été impossible de trouver une évaluation précise de ces « recrutements hors transferts » invoqués par le gouvernement, et jusqu’à la Cour des comptes qui, dans son rapport annuel publié le 8 février pointait du doigt « une hausse sensible des dépenses et des effectifs des collectivités, pas toujours liées aux transferts imposés par l’Etat ». Le chiffre global de 131 000 transferts est parfois avancé, mais sans qu’il soit possible de le reconstituer précisément.
Dans son bulletin d’octobre 2011, la DGCL cite, elle, des chiffres, mais portant sur la période 1999-2008 : « les effectifs des collectivités locales (sur un périmètre et une notion d’emploi légèrement différente provenant de l’enquête Insee COLTER) avaient augmenté, hors transferts liés à la décentralisation, de 350 000 emplois ».
Il semble donc que, en arrondissant, on puisse avancer une croissance des effectifs des collectivités de 500 000 agents, comme le dit le président de la République, mais entre 1998 et 2008, transferts et hors transferts confondus, et pas sur la durée du quinquennat.
De surcroît, « les chiffres ne considèrent que le nombre d’agents et pas les équivalents temps plein (ETP) alors que le temps partiel s’est beaucoup développé dans la FPT. Dans les communes, le temps de travail moyen est de 85%. Pour ces collectivités, les chiffres devraient donc être réduits de 15% pour raisonner en ETP », souligne Geoffroy Adamczyk, chargé d’études à l’Association des Maires de France.
Communes-interco : une insuffisante mutualisation ? – Le développement de l’intercommunalité depuis la fin des 1990 et le début des années 2000 a aussi participé à l’accroissement des effectifs de la FPT. Délégué général de l’AdCF, Nicolas Portier – qui se réfère à la base de données Colter de l’Insee – ne partage pas les chiffres de la DGAFP sur les effectifs du début des années 2000.
« La progression des effectifs existe, mais dans une moindre proportion que celle que le graphique [ci-dessous] laisse apparaître. La Cour des comptes elle-même a rappelé que la croissance des effectifs est dans la logique des réformes de l’intercommunalité qui est montée en puissance à partir de la loi de 1993 ».
L’évolution rapide des effectifs entre 2000 et 2004 correspond à l’explosion de l’intercommunalité. Depuis, le rythme se ralenti, et s’établissait à 4,95% en 2008. « Un rythme qui traduit le développement actuel de l’intercommunalité. Ce qu’il faut regarder, c’est l’augmentation consolidée commune / intercommunalité. Il y aurait problème si l’on n’arrivait pas à maîtriser l’ensemble du bloc communal. Or, les effectifs des communes ont commencé à baisser. [ndlr : en tout cas à se stabiliser, selon les données de la DGAFP].
« D’ailleurs, l’INSEE a montré que le rythme de progression des effectifs est plus important dans les communes isolées que dans les territoires où il y a intercommunalité », poursuit Nicolas Portier.
Des doublons, « à la marge » – A l’Association des maires de France (AMF), Geoffroy Adamczyk reconnaît que certains transferts de compétences entre communes et intercommunalités ont pu donner lieu, à la marge, à des doublons : « Jusqu’en 2010, les agents n’avaient pas l’obligation de suivre le transfert et certains d’entre eux ont pu le refuser. Des communes ont pu vouloir garder leurs effectifs et des communautés recruter leurs propres agents. Mais globalement, dans les filières que l’on peut clairement identifier, il n’y a pas de doublons ». Et de citer les filières sociale et médico-sociale, sportive, culturelle ou de l’animation.
Pour les filières administrative et technique – qui représentent le gros des troupes – la lecture semble beaucoup plus compliquée. « Des demandes nouvelles de service public de proximité se sont développées. Par exemple, 75 000 places d’accueil pour des enfants de moins de 6 ans ont été créées, dont 60 000 pour le bloc local, ce qui représente 8 000 emplois. 12 000 places pour les personnes âgées relevant des collectivités territoriales ont été créées, correspondant à au moins 1 000 recrutements », avance Geoffroy Adamczyk.
Guillaume Denis, directeur général adjoint de l’Assemblée des départements de France et Nicolas Portier rappellent aussi que de nombreuses communes ont réinternalisé des services, comme celui de l’eau, ce qui s’est traduit par une hausse des effectifs.
Sans accuser les autres, chaque strate de collectivités s’exonère de toute croissance injustifiée de ses effectifs. Toutes avancent l’argument du développement de nouvelles compétences, auxquelles les fonctionnaires de terrain ont dû répondre. « C’est à leurs électeurs que les élus locaux doivent rendre compte de l’évolution de leurs effectifs. Agréger nationalement des chiffres territoriaux – qui par ailleurs ne reposent pas sur des bases suffisamment sérieuses – n’a pas beaucoup de sens », conclut Guillaume Denis.
N’empêche que le 10 février, ce n’est pas à leurs électeurs que les responsables locaux vont rendre des comptes, mais au président de la République et au gouvernement, à charge pour les protagonistes de ne pas instrumentaliser les chiffres.
Cet article fait partie du Dossier
Fonction publique : un choix de société
Sommaire du dossier
- L’émergence d’un « statut bis » ?
- Quand le public s’inspire du privé
- Les fonctionnaires, grands oubliés de la présidentielle
- Le statut : un édifice ébranlé mais solide
- Cinq ans de chantier pour le statut : « Une évolution sans remise en cause »
- Les collectivités ont-elles trop recruté ?
- Travail social : le Snuclias-FSU interpelle les candidats aux élections présidentielles et législatives
- Protection sociale des territoriaux : les réponses de six candidats
Thèmes abordés
Notes
Note 01 les données 2010 et 2011 ne sont pas encore disponibles et nous avons reconstitué les données pour 2009 à partir des pourcentages de croissance cités par la DGAFP dans son rapport sur l'état de la fonction publique 2010-2011 pour les communes, régions et départements uniquement Retour au texte