Président de la FNSEA de l’Allier jusqu’aux régionales de décembre, Emmanuel Ferrand, agriculteur, connaît bien les collectivités locales : premier adjoint au maire (div. droite) de Saint-Pourçain-sur-Sioule, vice-président de la communauté de communes du pays saint-pourcinois, il vient d’être élu conseiller régional sur la liste de Laurent Wauquiez. Sur son blog personnel, il explique pourquoi, pour la première fois en quarante ans, il ne s’est pas rendu au salon de l’agriculture. Il explique à La Gazette pourquoi face à la crise les collectivités n’en peuvent mais.
Quel rôle peuvent jouer les collectivités territoriales face à la crise agricole ?
Elles ne peuvent avoir qu’un rôle très limité car aujourd’hui l’agriculture est une compétence européenne. C’est l’Europe qui décide et l’Etat qui met en œuvre. Il n’est laissé aux régions que le deuxième pilier de la PAC [Politique agricole commune, ndlr], qui concerne l’aménagement, l’environnement et autres aspects divers. Du point de vue conjoncturel, les collectivités ne peuvent quasiment rien faire. Nous sommes en train de faire les calculs pour la répartition du soutien suite à la sécheresse de 2015, et les 4M€ que nous avons reçu des collectivités cela ne représente pas grand chose.
Concrètement, pour vous, quels sont les causes des problèmes des agriculteurs ?
Dans l’Allier, par exemple, il manque entre 10 et 50.000 € de trésorerie pour une exploitation type, de 100 Ha, avec 120 vaches. Aujourd’hui, il s’agit d’abord d’un problème de cours. Le problème déclencheur est l’embargo russe, c’est cela qui a désorganisé les marchés. Et ce sont les agriculteurs qui paient l’embargo russe. Si les russes avaient bloqué l’importation de voitures, Carlos Ghosn [le PDG de Renault, ndlr] aurait été voir Valls et Hollande pour leur dire : « les 10.000 voitures que je n’ai pas vendues, il faut me les payer ». Les agriculteurs ne peuvent pas faire ça. Enfin, il y a eu une deuxième épidémie de FCO (fièvre catarrhale ovine), qui touche les éleveurs, en plus de la sécheresse. Nous avons connu trois crises conjoncturelles en quelques mois.
A quoi sert le soutien qu’apportent les départements et les régions ?
Plusieurs départements aident à la prise en charge des analyses en laboratoire. C’est bien, je ne le nie pas, mais ça n’efface pas le problème. Les régions se positionnent notamment pour avancer les aides européennes. Nous y réfléchissons en Auvergne-Rhône-Alpes, ce n’est pas impossible qu’on le fasse. C’est bien aussi, mais l’avance il faut la rembourser, quelque part c’est emprunter sans avoir de certitude sur les cours. Il faut réfléchir à l’efficacité des mesures annoncées.
Certaines sont-elles inefficaces ?
Quand on annonce une « année blanche pour l’agriculture », les emprunts sont reportés à l’année suivante. Personne n’a pris cette aide-là. Les agriculteurs disent : « OK, ça peut décaler, mais au final il faut rembourser, or nous ne sommes pas sûrs que demain sera mieux qu’aujourd’hui ». Quand le gouvernement annonce qu’il va baisser de 7 points la MSA, ça fait rire. Quand il n’y pas de revenus on ne paye pas la MSA. Alors baisser 7 point de zéro, ça fait toujours zéro. Le problème c’est que l’Etat et les collectivités essayent d’aider avec des mesures conjoncturelles. L’Etat annonce des dépenses de millions d’euros qu’en fait il ne dépense pas, c’est cela qui ne sert à rien.
Que fallait-il faire ?
Nous avions chiffré par exemple 50.000 broutards (jeunes veaux), dont 5.000 en Auvergne, pouvaient partir pour un nouveau marché. Ce marché existe, en Afrique du Nord, en Turquie, mais ce ne sont pas les mêmes prix. Il aurait suffit que l’Etat subventionne le départ de ces broutards à hauteur de 120M€ et ça résolvait tous les problèmes. Là il dit qu’il met 1,5 milliard d’euros et les problèmes ne sont pas résolus. On fait appel aux énarques mais pas aux paysans du coin… (soupir). Ou alors on ne saisit pas les opportunités. L’Europe a mis en place un fond de stockage, il s’agissait de l’utiliser pour stocker afin de désengorger le marché. L’Allemagne a pris 20%, la Pologne 12% et la France… 3%. Donc une mesure qui était taillée pour l’agriculture française, la France ne l’a pas prise.
Maintenant vous êtes un élu de la nouvelle grande région, que peuvent-elles faire ?
Les régions doivent jouer un rôle de tête-de-file pour l’économie, mais leur budget est limité. En Rhône-Alpes-Auvergne nous avons un budget de 50M€ mais qui est contingenté pour des actions déjà programmées.
Et augmenter l’approvisionnement local dans les lycées, comme l’annonce Laurent Wauquiez, en reprenant une action lancée par vos prédécesseurs ?
C’est bien, c’est une bonne action qui avait en effet été lancée lors de la mandature précédente. Nous estimons à 40% l’approvisionnement local des lycées, Laurent Wauquiez propose de le doubler, de le passer à 80%, et de l’élargir à d’autres secteurs publics comme le secteur hospitalier ou autres lieux de restauration collective. Mais il ne faut pas oublier que la France est exportatrice, il n’y a pas que le marché interne qui compte. Même si on se mettait tous à manger français, cela ne résoudrait pas le problème. Mais ça va dans le bon sens.
Et les départements ?
Les départements n’ont plus la compétence agriculture. Avec l’économie, elle passe aux régions. Certains ont décidé de tout arrêter et c’est de l’argent qui se perd, qui est affecté ailleurs. Si un département mettait 3M€ sur l’agriculture et décide d’arrêter en 2016, la région doit faire face sans ces 3M€, l’Etat ne va pas compenser et le département ne va pas transférer l’argent non plus. Dans l’Allier nous n’arrêterons pas tout en 2016. Une réunion est prévue avec la région dans les semaines qui viennent pour se mettre d’accord sur une transition entre 2016 et 2017.
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