Après le temps de l’émotion et de l’unité, nombre de médias et d’experts n’ont pas tardé à expliquer les attentats tragiques des 7, 8 et 9 janvier 2015 par la ségrégation de certains quartiers de banlieue et par ce qui serait un manque d’efficacité de la politique de la ville.
Face à ces raccourcis et contre-vérités, il apparaît indispensable au conseil d’administration de Profession Banlieue d’exprimer sa solidarité avec la population qui y vit et les milliers de professionnels – services municipaux, travailleurs sociaux, agents de l’État, associations – qui apportent chaque jour des réponses aux difficultés sociales et économiques de ces territoires.
Et pour cela, il nous faut rétablir quelques faits. Non, il n’existe pas de rapport direct de cause à effet entre les difficultés socioéconomiques des « quartiers prioritaires » où vivent des millions de nos concitoyens et les dérives fanatiques et sectaires de quelques centaines de personnes. Et non, un acte isolé, aussi tragique soit-‐il, ne peut à lui seul justifier de parler de 30 ans d’échec de la politique de la ville.
Dire cela, c’est favoriser les amalgames et c’est, une nouvelle fois, stigmatiser l’ensemble des populations qui vivent dans ces quartiers.
Car s’il y a bien une aggravation des inégalités sociales dans notre pays et dans le monde, un phénomène de ségrégation sociale et spatiale, un sentiment d’injustice et d’exclusion ressenti de plus en plus fortement par certains habitants des quartiers, tout cela est d’abord imputable aux carences des politiques de l’emploi, de l’éducation, du logement et des transports, qui ne sont clairement pas à la hauteur des enjeux de cohésion sociale et territoriale auxquels nous devons faire face.
Car ce n’est pas avec une politique de la ville qui représente moins de 0,3% du budget de l’État que l’on peut raisonnablement envisager de lutter contre les puissants mécanismes de relégation et d’exclusion à l’oeuvre dans notre pays.
Si la politique de la ville a permis d’atténuer les difficultés de la population et de remettre à niveau le cadre de vie dans certains quartiers, elle ne pourra rien faire à elle seule tant que les solidarités locales et nationales ne s’affirmeront pas davantage dans des politiques de lutte contre un chômage de masse qui touche particulièrement les jeunes, et dans la lutte contre toutes les formes de discriminations qui sapent notre cohésion sociale, l’adhésion aux valeurs de la République et la citoyenneté que l’on souhaite aujourd’hui promouvoir avec vigueur.
C’est bien aux politiques de droit commun de désenclaver les quartiers isolés, de construire dans tous les territoires les logements sociaux répondant aux besoins et favorisant une réelle mixité sociale, de réformer l’école pour la construction des adultes de demain, dotés de sens critique et capables de s’enrichir des cultures de l’autre, tout en identifiant un socle commun de valeurs humanistes et républicaines.
Plutôt que de parler d’échec et de désigner ces quartiers comme des problèmes, il faudrait bien davantage soutenir la réforme en cours de la politique de la ville et la qualification des professionnels qui travaillent dans ces quartiers.
Soutenir une réforme qui ouvre des espaces de débat, valorise les ressources des quartiers et reconnait les capacités des habitants à produire de la cohésion sociale. Une réforme qui se fixe pour ambition de mobiliser toutes les politiques publiques au bénéfice de territoires où les manques sont particulièrement criants. Ce sont bien ces enjeux qui viennent de se rappeler à nous avec une grande violence.
Contact : Damien Bertrand, directeur de Profession Banlieue.
Coordonnées : 01 48 09 26 36 ou profession.banlieue@wanadoo.fr
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Quand les attentats bousculent les politiques de cohésion sociale
Sommaire du dossier
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- Laïcité, éducation, ville : les acteurs locaux réagissent
- « Accélérons de toute urgence les réponses sociales » – Gilles Leproust, Ville et Banlieue
- Mixité sociale : la solution miracle qui cache les vrais enjeux
- « On érige entre « eux » et « nous » le mur qu’on cherche à abattre » – Thomas Kirszbaum
- Après les attentats, les élus locaux veulent infléchir la politique de la ville
- « Démunis », les professionnels souhaitent « redonner du sens » à la politique de la ville
- Comité interministériel à l’égalité et à la citoyenneté : que faut-il en attendre ?
- « Contre l’exclusion, mobilisons les politiques publiques et les énergies dans les quartiers ! » – Profession Banlieue
- Réussite éducative : les professionnels réagissent au plan gouvernemental
- «Les élus doivent avoir une approche nouvelle face à la radicalisation », Roger Vicot, président du FFSU
- Les éducateurs de rue promeuvent une «politique de prévention éducative et sociale de la radicalisation»
- France Médiation appelle à « une véritable politique de prévention sociale »
- « Le mouvement d’éducation par le sport est un vrai terrain d’insertion des jeunes »
- Après les hommages aux victimes du terrorisme, les quartiers populaires réclament un débat de fond
- Le territoire, « machine à trier les jeunes » ?
- Carte scolaire : « il faut sortir du découpage communal » et « impliquer le privé » – Marco Oberti, sociologue
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