Les collectivités doivent-elles continuer à financer le « sport business » ? Pour certains sénateurs, il est grand temps d’en finir avec le versement de subventions des collectivités aux clubs professionnels dont elles assurent aujourd’hui, selon eux, le fonctionnement.
Dans le collimateur, les clubs de football professionnels de Ligue 1, considérés comme les grands bénéficiaires : 17 millions de subventions publiques en 2011/2012, l’équivalent d’environ 850 000 euros par club en moyenne, selon un rapport du Sénat, d’avril 2014 (1).
Fin des subventions de fonctionnement – Pour mettre fin à cette manne publique, une proposition de loi visant « à rénover les rapports entre les collectivités territoriales et les clubs professionnels et à moderniser le modèle économique du sport professionnel » (2), a été déposée le 9 juillet, par le sénateur de l’Isère Michel Savin (UMP).
Un texte dont l’ambition est de « tirer toutes les conséquences de l’émergence d’un nouveau « sport business » financé très largement par des droits audiovisuels en forte augmentation », indique l’exposé de ses motifs.
Concrètement, le texte prévoit la suppression des subventions de fonctionnement pour les clubs professionnels financés essentiellement par les droits d’exploitation audiovisuelle. Seraient directement concernés, les clubs quiperçoivent plus de dix millions d’euros de droits TV par saison à savoir, aujourd’hui, les clubs de Ligue 1 de football ; ceux du TOP 14 de rugby en seraient pour l’instant exclus.
Pour les auteurs de la proposition, « les collectivités territoriales n’ont pas vocation à contribuer à l’inflation salariale des clubs de sport professionnel dont le modèle économique est arrivé « à maturité » et repose sur un certain nombre de ressources pérennes et relativement importantes ».
Subventions en contrepartie d’actions d’intérêt général – Encadré par le code du sport, leur versement, plafonné à 2,3 millions d’euros par saison sportive, doit concerner des actions d’intérêt général – formation, actions d’éducation, d’intégration, de cohésion sociale, amélioration de la sécurité. « Ces subventions ne respectent pas la loi puisqu’elles devraient être strictement consacrées à des missions d’intérêt général », a indiqué Michel Savin (UMP) lors de la présentation de sa proposition de loi.
Dans les faits, elles permettent, dans certains cas, à bon nombre de clubs de combler leurs déficits, quand par ailleurs, elles ne font pas l’objet d’une convention entre la collectivité et le club, pourtant obligatoire.
En outre, l’interdiction seraient également étendue aux achats de prestations de services – billets, espaces publicitaires, par exemple – dont le plafond actuel fixé par le code du sport s’élève à 1,6 millions d’euros par saison.
Des dérives déjà pointées – Sur le fond, les relations entre les collectivités et le sport professionnel ne sont pas un enjeu récent. Déjà en 2009, la Cour des comptes, dans un rapport intitulé « Les collectivités territoriales et les clubs sportifs professionnels »avait jeté un pavé dans la marre, recommandant aux collectivités de réduire la voilure en matière de financement public du sport professionnel.
À l’appui du contrôle des clubs sportifs professionnels de six disciplines sportives – football, hockey sur glace, basketball, handball, volley-ball et rugby – effectué par 19 chambres régionales des comptes, les magistrats financiers avaient appelé les collectivités à « plus de vigilance, dans un contexte de contrainte budgétaire, mais aussi pour dégager les voies d’un partenariat plus équilibré et plus respectueux de la réglementation », dans le cadre de l’attribution des subventions, de l’achat de prestations de services ou encore de la mise à disposition des équipements sportifs.
Des clubs professionnels dépendants des subventions publiques – Mais le sujet reste toutefois délicat à traiter, tant les écarts sont significatifs entre les disciplines bénéficiaires de ce soutien public local. « Les collectivités accompagnent de façon différenciée l’essor des équipes professionnelles de leurs territoires : certaines disciplines seraient incapables de vivre sans les subventions publiques, alors que d’autres bénéficient d’une quasi autonomie financière », indiquent les sénateurs dans leur rapport d’information.
Pour la saison 2011/2012, le montant total de subvention allait « de 2 % des budgets des clubs pour la Ligue 1 de football à 79 % pour la ligue B masculine de volleyball, en passant par 12 % pour la pro D2, 30 % pour la pro A de basketball ou encore 52 % pour la ligue féminine de handball. En rugby, les subventions publiques représentent 3 % du budget du top 14 et 5 % de la pro D2 ».
Une disposition opportune – Mais aussi louable soit-elle, cette interdiction ne fait pas toujours l’unanimité. Du côté de l’Association nationale des élus en charge du sport (Andes), son président, Jacques Thouroude, voit cette mesure plutôt d’un bon œil. « Nous soutenons pleinement cette proposition. Il faut que les clubs professionnels s’assument ». Selon lui, « les droits télévisuels ont sérieusement augmenté depuis 10 ans pour atteindre 1 milliard d’euros, dont 800 millions d’euros pour le football. Je regrette que ces recettes n’aillent pas dans le fonctionnement des clubs. Il y a aujourd’hui une privatisation des recettes et une socialisation des dépenses ».
Interdiction généralisée en 2020 ? – Et entre cette interdiction ciblée sur les clubs de football de l’élite nationale et, à terme, une application plus large aux clubs des autres disciplines, il n’y aurait qu’un pas.
D’autant que la mission d’information du Sénat avait, en effet, fixé un cap : celui d’en finir, en 2020, avec les subventions des collectivités aux clubs professionnels des « disciplines arrivées à maturité ».
Le secrétaire d’État chargé des sports, Thierry Braillard, s’était alors interrogé en séance publique, le 11 juin 2014, sur cette perspective :
Qu’entendez-vous cependant par « sport professionnel arrivé à maturité ? » Si demain les collectivités territoriales ne subventionnent plus les clubs de volleyball, de handball, de basketball, ils seront rayés de la carte.
Une disposition qui suscite de fortes réserves – Pour d’autres élus, même si l’utilisation des subventions doit être limitée, et son utilisation par les clubs plus clairement identifiée, cette proposition de loi n’est pas nécessairement la bienvenue. « Je ne suis pas sûr qu’interdire les subventions aux clubs soit la bonne solution. En revanche, il faut plutôt plafonner leurs montants, en suivant notamment la masse salariale des clubs. Car l’objectif final est bien d’éviter les abus et donc la subvention inutile qui va finalement payer des salaires exorbitants de certains joueurs », explique Alain Fontanel, premier adjoint au maire de Strasbourg.
Certains y voient la mort annoncée de bon nombre de disciplines. Pour Émile-RogerLombertie, maire (UMP) de Limoges, dont le CSP – club de la ville – est champion de France en titre de pro A de basket, « si on veut tuer les sports, il suffit d’adopter ce type de lois. Il y a dans beaucoup de villes des clubs qui ne fonctionnent que grâce aux subventions. Vouloir les supprimer, c’est tuer ces clubs. Tant que l’on n’aura pas fait en sorte que le ministère des sports et les fédérations soient incitatifs pour que les clubs soient complètement indépendants financièrement, on ne s’en sortira pas ».
Des ligues fermées, pourquoi pas ? – Dans le même état d’esprit Gilbert-Luc Devinaz (PS), adjoint au maire chargé du sport à Villeurbanne, considère que si « on supprime les aides des collectivités, beaucoup de clubs sportifs disparaîtront. À part le football qui pourrait s’en tirer, les clubs d’autres disciplines s’arrêteraient ».
Dans une posture iconoclaste, l’élu de Villeurbanne – dont le club de basket appartient majoritairement à Tony Parker – ne serait pas opposé à un changement d’organisation des compétitions sportives : « on veut faire fonctionner le sport spectacle à l’américaine en gardant un fonctionnement à la française. Alors, il faut revoir l’organisation du sport et mettre en place des ligues fermées. Aujourd’hui, les aides sont disparates entre les collectivités. Avec des ligues fermées, on retrouverait de l’équité ».
Les clubs amateurs également concernés – Et même si la « planète football » semble la seule touchée, les autres disciplines et le monde amateur n’échappent pas aux débats en conseil municipal sur l’opportunité de voter des subventions publiques aux clubs.
À Strasbourg, dont le club de football a subi ces dernières années des échecs sportifs entraînant la perte de son statut professionnel, la municipalité a voté, le 22 septembre, l’attribution d’une subvention de 350 000 euros pour la réalisation d’actions d’intérêt général (promotion du fair-play, organisation d’une coupe du monde des quartiers, accueil au stade de bénévoles etc.) au Racing club de Strasbourg Alsace qui évolue en National, l’équivalent de la 3ème division.
Un versement qui n’a pas recueilli le soutien du groupe EELV, qui s’est abstenu, pointant l’importance « des aides des partenaires publics dans le budget du club », la part de la ville correspondant à « une petite école avec 3 ou 4 classes chaque année », et souhaitant aussi qu’il soit vérifié que « les participations publiques sont bien affectées à des plus values de nos politiques prioritaires : cohésion sociale, vie des quartiers, apprentissage du sport ».
La fin des partenariats public-privé (PPP) pour financer les stades
La proposition de loi du sénateur (UMP), Michel Savin, comprend 8 articles qui reprennent quelques-unes des 30 préconisations du rapport de la mission d’information d’avril dernier. Outre l’interdiction des subventions de fonctionnement aux clubs professionnels, elle entend également supprimer, à compter du 1er juillet 2015, le recours des collectivités aux partenariats publics-privés pour financer un stade ou une aréna qui seraient majoritairement utilisés par un club professionnel résident.
En outre, elles auraient la possibilité de céder avant l’échéance du contrat de partenariat les enceintes après indemnisation des partenaires privés.
Enfin, concernant le financement de nouvelles enceintes, les collectivités ne pourraient plus abonder à plus de 50 % des dépenses de construction.
Thèmes abordés
Notes
Note 01 Rapport d’information du Sénat, « Sport professionnel et collectivités territoriales : l’heure des transferts ? », 29 avril 2014. Retour au texte
Note 02 La sénatrice Françoise BOOG et les sénateurs Alain DUFAUT et Bernard SAUGEY sont les cosignataires du groupe UMP de cette proposition de loi. Retour au texte